Le dégazage du café

Buvez-vous du café trop frais?

La question peut sembler quelque peu déroutante à première vue. Normalement, on veut consommer nos aliments les plus frais possible. La même logique devrait s’appliquer au café, non? D’ailleurs, les torréfacteurs n’affichent-ils pas la date de torréfaction sur les emballages justement pour nous assurer de la fraîcheur absolue des grains que l’on s’apprête à moudre?

Évidemment, on veut boire du café frais, mais il faut éviter de le boire trop frais. Lorsque le café est torréfié, du dioxyde de carbone (CO2) et de la vapeur d’eau se forment à l’intérieur du grain. Une partie de ces gaz est brusquement expulsée pendant la torréfaction : on appelle cela le premier crack. On peut littéralement entendre le gaz sortir du grain, le bruit ressemblant beaucoup à celui du pop-corn. Ce processus se poursuit une fois les grains sortis du four. Ce gaz contenu dans les grains interfère avec l’extraction. En effet, au contact de l’eau chaude, le café moulu expulse du gaz très rapidement, ce qui crée des bulles dans le lit de café, bulles qui à leur tour produisent des canaux (channels). Les canaux sont des trous qui se forment dans le lit de café. L’eau, cherchant toujours le moyen le plus facile de traverser le lit de café, passera dans ces canaux, ce qui aura pour effet de sur-extraire le café dans ces zones, et de sous-extraire le reste du lit. On aura donc un café à la fois acide (sous-extrait) et amer (sur-extrait), au lieu d’un bon café bien balancé.

Combien de temps faut-il attendre, donc? Cela dépend de plusieurs facteurs : l’origine, le degré de torréfaction et le type d’extraction en sont quelques-uns. De manière générale, on dit qu’il faut attendre de 7 à 10 jours pour que le café soit à son maximum, à son plein potentiel. Il aura expulsé une bonne partie de son CO2, mais il en restera encore, ce qui est très important pour la fraîcheur. C’est d’ailleurs ce gaz qui est en grande partie responsable de la fameuse créma si chère aux buveurs d’espresso. Vous nous connaissez, chez Jungle on aime ça les détails, alors allons-y gaiement! Le dégazage est crucial pour la préparation d’espressos et, dans une moindre mesure, pour la préparation de café filtre. En effet, dans la préparation d’un café filtre, le café est en contact avec une plus grande quantité d’eau et pendant plus longtemps, ce qui permet de mitiger plus facilement les effets de la canalisation (channeling) et ainsi de prévenir une mauvaise extraction. Quand on prépare de l’espresso, tout se passe rapidement. Le café n’est en contact avec l’eau que quelques secondes et la pression exercée sur le lit de café est intense (généralement autour de 9 bars sur des machines professionnelles, souvent beaucoup plus élevée sur les machines à la maison). Cette pression élevée favorise d’ores et déjà la canalisation, ce à quoi s’ajoute une expulsion rapide et puissante de CO2, contribuant assurément à l’apparition de canaux. En prévention, on peut facilement laisser les grains dans leur sac pendant 14 jours pour un café destiné à être préparé en espresso. Il ne perdra pas en fraîcheur et gagnera en stabilité.

Pour certains cafés, on peut attendre encore plus longtemps. À ce sujet, je me permets une rare anecdote personnelle… Un jour, je voulais me gâter avec un excellent café. J’ai donc fait une petite folie et j’ai acheté le meilleur Éthiopien disponible chez Gardelli, un torréfacteur italien de renommée internationale. Un tout petit sac très cher. Qu’à cela ne tienne, je reviens à la maison petit sac rose en main, tout excité à l’idée de déguster ce café avec ma méthode favorite, le Chemex (oui oui, old school comme ça). J’ouvre le sac : c’est une explosion de bleuets, de baies, d’acidité, bref ça met l’eau à la bouche! Ma bouilloire est à la bonne température, le café est moulu, je commence l’extraction. Tout au long de la préparation, l’odeur est divine. 3 minutes et 30 secondes plus tard, c’est prêt. Je prépare ma tasse, l’approche de mes lèvres, le fumet me promet mille délices, je prends finalement ma première gorgée et… rien. Pas un goût subtil, pas un mauvais café, rien. De l’eau chaude, brune, plate. J’attends que le café refroidisse, c’est toujours meilleur tiède. Toujours rien. Je me dis que c’est sûrement moi le problème, aucune chance que ce café ne soit pas bon. Je recommence tout le processus, toujours rien. Déçu, je referme le sac et le « garoche » au fond de mon armoire à café. Tant pis, je boirai autre chose. Un mois plus tard, je me retrouve dans une situation inhabituelle : plus de café à boire. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais si je ne bois pas de café dans la journée j’ai mal à la tête (bon, c’est peut-être un problème me direz-vous, mais gardons ce questionnement pour une autre fois). Pas envie de sortir de la maison, je me tourne donc vers mon ultime option, je reprends le sac de Gardelli. Je me dis qu’au pire, je le boirai simplement pour la caféine qui soulagera mon mal de tête. Je prépare le café, l’odeur est toujours sublime. Quand vient le temps de la première gorgée, surprise, c’est un délice absolu! Une des meilleures tasses que j’ai bue de ma vie. Le genre de café qui nous transporte instantanément à l’autre bout du monde, le genre de tasse qui nous rappelle pourquoi on aime tant le café.

Je me suis mis à raconter cette anecdote à des amis de l’industrie qui m’ont confirmé que souvent, les cafés éthiopiens prennent du temps à se développer dans le sac, et qu’un mois c’est assez habituel. Le même phénomène se produit avec notre café d’Ana Carolina, le « peach candy ». Il faut lui laisser un bon trois semaines suite à la torréfaction pour l’apprécier pleinement. C’est un peu contre-intuitif, mais ça fait partie de la magie du café. Parfois, c’est bon de prendre son temps. Dans ce cas, pourquoi certains torréfacteurs insistent-il autant sur l’importance de boire le café très frais? Pour que vous en achetiez plus souvent, tout simplement. La régularité des entrées d’argent, c’est le nerf de la guerre pour les torréfacteurs. On a donc avantage à ce que notre café soit acheté et bu rapidement pour que vous y reveniez rapidement. Chez Jungle, ce qu’on aime encore plus que l’argent, c’est le café. Ce qu’on veut par-dessus tout, c’est que vous viviez la meilleure expérience qui soit. C’est pourquoi nous n’hésitons jamais à vous recommander d’attendre avant de boire notre café, de le laisser reposer un peu pour qu’il vous offre tout ce qu’il a de meilleur. C’est notre façon de respecter aussi bien le travail des producteurs qui nous fournissent ces délices que vous, notre client, qui payez pour avoir le meilleur café possible.

Retour au blog